La musique est une révélation plus haute que toute sagesse et toute philosophie. (Beethoven)

Interview avec Erik Friedlander

Erik Friedlander


Le violoncelle est un instrument rare dans les musiques improvisées. La découverte de la musique et de l'univers de Vincent Courtois m'a irrésistiblement attiré vers cet instrument. Le nom d'Erik Friedlander est apparu naturellement au fil d'écoutes passionnées : l'une d'entre elles, son apparition au sein du Masada String Trio et Sextet, a été décisive. Depuis, sa musique me passionne... Quelques questions au violoncelliste newyorkais.


Tu as d'abord joué de la guitare. Pourquoi avoir choisi le violoncelle au lieu de poursuivre la guitare ou d'essayer le violon ?

Je n'en ai aucune idée... Pourquoi j'ai choisi le violoncelle ? Peut-être parce que cet instrument ressemble plus à une guitare que le violon, peut-être parce que le professeur de musique avait besoin de violoncellistes, peut-être que j'étais plus grand et costaud que les autres et que le professeur a pensé qu'il me serait plus facile de transporter un violoncelle...


Harvie Schwartz a été une des rencontres importantes de ta carrière. Peux-tu nous en dire un peu plus sur l'homme ?

Harvie Schwartz a été le premier compositeur et chef d'orchestre avec qui j'ai eu un lien assez fort. Pour mon premier projet avec lui, je sortais juste du conservatoire avec lequel je jouais encore du violoncelle classique, et je tenais la basse dans un groupe de rock; et me voilà violoncelliste dans un orchestre new-yorkais de jazz moderne, avec des solistes de très haut niveau ! Ses compositions pour cet orchestre étaient véritablement magnifiques. Les arrangements de ses compositions étaient extrêmement délicates, avec une approche vraiment moderne des soli, vraiment très personnelle. Il m'a appris l'engagement, l'intensité et toute la compétence dont il faut faire preuve quand on veut faire carrière dans la musique. Harvie est devenu mon mentor, une rencontre très importante pour moi.


Est-ce que le disque "My Little Cello" (enregistré en 1964 par Oscar Pettiford, Ndm) est "le disque que j'emporte sur une île déserte" de tout violoncelliste ?

C'est un enregistrement clé pour l'histoire de notre instrument. Pettiford a construit une formation autour du violoncelle : les compositions, arrangées et jouées de la plus belle des manières, avec le violoncelle au centre. C'est là l'aspect décisif de cet enregistrement pour le violoncelle : c'est la première fois dans la musique d'improvisation que le violoncelle occupe un rôle central.

Les pianistes ont Monk comme modèle et les saxophonistes Coltrane. Il n'y a pas une icône omniprésente de ce type pour le violoncelle : cela peut-il faciliter les choses pour trouver sa place...

Faciliter ou compliquer ? Il y a moins d'espérances et d'attentes autour de cet instrument, mais on peut aussi dire que le violoncelle n'est pas "vraiment" un instrument de jazz, et il est donc assez difficile de se faire une place dans la jungle de la scène jazz. Difficile parce qu'il n'y a pas un répertoire énorme duquel s'inspirer et s'enrichir. Je me pose en permanence des questions sur comment ajuster mon jeu par rapport au jazz. J'ai créé récemment un nouveau groupe autour du violoncelle pizzicato inspiré par Pettiford. J'ai écrit une vingtaine de morceaux et j'ai encore un tas d'idées inspirées de son jeu : certaines sont tournées vers le passé d'autres résolument orientées vers le futur. J'ai en quelque sorte adapté ma vision de ce pourrait être le violoncelle comme instrument de jazz. Concernant mes autres groupes, dans lesquels mon jeu d'archet est plus présent, ils sont plus modernes dans leur forme, moins jazz, mais c'est le reflet de ma personnalité.


A propos de ton projet intitulé "Maldoror" ( "Les Chants de Maldoror" est un court récit halluciné d'Isidore Ducasse alias le Comte de Lautréamont, qui sera une des principales inspirations du mouvement surréaliste, Ndm). La connexion entre surréalisme et la musique n'est pas évidente...

Il s'agit plutôt d'une connexion entre improvisation et esprit de création, le désir de répondre à des émotions, des rêves. Ce territoire d'expérimentation n'est pas seulement réservé à la la peinture, au travail graphique. Il s'agit plutôt d'une impulsion particulière que l'on donne à la musique, ou pour n'importe quelle forme d'art en fait... Si tu me poses cette question parce que tu n'as pas trouvé de lien sur l'enregistrement de ce projet, je peux seulement te répondre que c'était une réponse immédiate à une poésie.


Tu as participé aux enregistrements de "Zevulun" et "Issachar" (des compositions de John Zorn arrangées pour le Masada String Trio et une autre formule enrichie de Cyro Baptista, et Marc Ribot, Ndm). Quel est ton sentiment par rapport au concept "Radical Jewish Culture" développé par le saxophoniste new-yorkais ?

C'est un véritable espace de liberté pour moi. Zorn a ouvert le chemin à beaucoup de musiciens pour être complètement libre d'innover avec la musique traditionnelle juive.


Il y a un intérêt fort des musiciens new-yorkais pour la musique d'Europe de l'est. Que penses-tu de celle d'Iran ?

Mon seul lien avec l'Iran est la musique de Googoosh, que j'aime vraiment beaucoup. J'ai d'ailleurs transcrit quelques unes de ces compositions pour mon groupe Topaz (les titres Skin et Quake) et je l'ai vu en concert à New-York il y a 4-5 ans... Je suis toujours à la recherche d'inspiration et la trouve avec plaisir un peu partout.


Vincent Courtois ?

Je ne l'ai pas entendu récemment. Je respecte vraiment beaucoup le travail de Vincent, son sens artistique, ses capacités...


Quels sont tes projets scéniques et d'enregistrements ?

J'ai deux disques qui doivent sortir cette année : "Prowl" sur le label Cryptogramophone, le dernier enregistrement de mon quartet avec Andy Laster, Stomu Takeishi et Satoshi Takeishi. Il s'agit d'un album de 9 titres avec 8 pièces originales basées sur les rythmes africains et une relecture d'un spiritual de la Nouvelle Orléans "Just A Closer Walk With Thee". Mais aussi un disque solo sur Brassland records qui est inspiré de la musique folk américaine et d'un ensemble de textes d'auteurs américains que j'ai acrobatiquement nommé "Black Ice & Propane".

Mon dernier projet s'appelle "Broken Arm" , un trio comme je te le disais inspiré du travail d'Oscar Pettiford. Mon projet le plus jazz ! Je cherche un label pour ce projet...

Il y a aussi un duo avec Teho Teardo, un compositeur et maître es-électronique italien. Nous avons enregistré un CD en hommage à Paolo Pasolini et j'espère que ce disque pourra sortir cette année également...


Propos reccueillis par Jean Delestrade

A retrouver sur:

http://www.macao.fr


www.erikfriedlander.com

"SON ET CONSCIENCE"

 

Voici un extrait d'un très bel article que je vous invite à lire sur :

http://eti.m.free.fr/textes/autretextes/SON-ET-CONSCIENCE.html

 

".......ainsi, le son primordial serait l'origine et le substrat de l'univers. D'une simple vibration , d'une onde acoustique primordiale, va naître l'ensemble du monde manifesté qui s'en nourrit et se maintient en équilibre, porté sur le fil de cette onde cosmique jusqu'à ce qu'elle s'immerge dans l'infini et qu'elle retourne à sa source, au terme d'une respiration de Brahmâ…Or nous, êtres humains, somme composés de matière imprégnée de cette vibration de Vie issue du souffle et du Verbe Divin , nous sommes une note particulière dans la symphonie de l'univers et notre conscience individuelle s'inscrit sur les harmoniques d'un chant cosmique .

Mais l'homme a oublié ses origines et n'entend plus la douce vibration de vie qui le porte et le relie au souffle de Dieu. Nous nous sommes aliénés à une fausse idée de nous même et nous demeurons prisonniers de nos identités virtuelles qui nous coupent de l'Harmonie universelle ; nous nous sentons déracinés, privés de la source de vie et chassés du Paradis…Depuis l'aube des ages de l'humanité, par tous les moyens, nous
tentons désespérément de nous raccorder à cette divine partition afin de retrouver notre plénitude d'être et notre place dans l'hymne à la Vie, issu des origines. Nikos Kazantzakis écrivait ; « La Liberté est la capacité de s'abandonner à un rythme qui nous est supérieur » : la musique des sphères, le chant du Verbe divin......."

 

Très bel article sur Marin-Marais, Lully, Ste Colombe, la viole de gambe :

http://www.ecoles.cfwb.be/argattidegamond/cartable%20musical/Marin%20MARAIS/Marin%20Marais.htm

 

Interview en vidéo d'Alain Menier (parlant de Maurice Maréchal et J.S. Bach).

A voir sur cette page :

 

http://vimeo.com/63177800

 

 

Par ELLEN MOYSAN :

 

Retrouvez des entretiens avec les violoncellistes (Xavier Gagnepain, Fréséric Borsarello, Roland Pidoux) sur :

 

http://fenetrephenomenologique.e-monsite.com/pages/entretiens-avec-des-musiciens.html

 

Phénoménologie et approche du chant intérieur :

 

http://fenetrephenomenologique.e-monsite.com/medias/files/05-trois-approches-du-chant-interieur.pdf

 

 

Vers la liberté

Les mélomanes sont souvent confrontés aux commentaires des « spécialistes » qui semblent parfois, hélas, confondre les notions les plus élémentaires de l’interprétation musicale.

 

 

Et il est vrai que lorsque nous prenons plaisir à écouter un concert ou un enregistrement discographique, nous sommes loin des considérations sur la technique des instrumentistes. Ce qui compte pour nous à ce moment, c’est l’émotion que peut transmettre le musicien. Nous vibrons avec lui ou nous sommes indifférents à son propos.


 

 


Si, comme dans chaque discipline de l’activité humaine, nous sommes obligés d’appliquer des principes que nous avons appris pour réaliser nos actions (réfléchissez un peu et vous vous rendrez vite compte que chaque geste de notre quotidien est d’abord gouverné par une manière de faire acquise ou innée), nous arrivons souvent à les avoir si bien assimilés que nous n’y pensons plus et le geste s'opère de lui-même. Pourtant, tout cet apprentissage est là, comme un outil qui permet nos réalisations. Il en va de même pour notre langage. Le texte que j’écris en ce moment ne peut prendre une forme significative (du moins j’espère qu’il le sera !) qu’à la seule condition que j’aie assimilé une série de « compétences » (je mets ce mot bien à la mode entre guillemets) comme la construction des phrases, le vocabulaire, la grammaire, …. Mais lorsque j’écris, je ne pense pas à tout moment à ces règles. Elles s’appliquent naturellement. Le contraire serait bien laborieux.

 

Et bien, c’est un peu la même chose pour l’interprète. Il a assimilé toutes les techniques de l’instrument (la production des sons justes, la manière de manipuler l’instrument, de se tenir, de faire déplacer ses doigts, ses bras, …). Tout cela important pour réaliser une interprétation, mais ce n’en est pas la seule condition. Pouvoir jouer toutes les notes est souvent une prouesse remarquable, mais qui n’est que la première étape vers une interprétation. Le but de cette assimilation technique est, comme dans toutes nos activités, la liberté. Le mot est lâché : Il faut être libre ! Mais libre pourquoi et face à quoi ?

 


 

 

Justement, la liberté permet de ne plus penser aux gestes et aux déplacements pour se consacrer au discours aux actions et aux idées. On constate, dans le domaine des langues étrangères que, si nous ne maîtrisons pas les éléments à un haut degré de pertinence, nous ne parvenons pas à exprimer nos idées. Tout qui a un jour essayé d’apprendre une langue en a fait l’expérience. Nous sommes alors privés de cette liberté d’exprimer notre pensée correctement et nous passons à côté du sens exact de notre propos. C’est exactement la même chose en matière de musique, car au-delà de la note à jouer, il y a des phrases entières, des harmonies à mettre en évidence, des tempi à tenir ou à changer, de la dynamique, … qui correspondent toujours au style du compositeur. Pour pouvoir l’exprimer correctement en étant libre lui-même, le musicien doit non seulement maîtriser son instrument, mais aussi la langue (le style) du compositeur. Alors seulement, il sera libre de le restituer en le faisant sien, dans une vérité qui sera la sienne et pas une copie de celle du voisin. Seulement alors, il pourra déployer en toute liberté sa vision de l’œuvre et la livrer aux auditeurs.

 

Vous le constatez, c’est un long processus qui s’étale sur de nombreuses années et demande beaucoup de sacrifices. C’est, d’une part un enseignement long que de bons pédagogues doivent dispenser, mais, d’autre part, ce sont des individus capables de dépasser le stade de la simple imitation. Être libre, c’est recréer et créer, c’est vivre. Il faut donc que le musicien accompli soit bien vivant (participe à la vie des hommes et ne vive pas dans sa tour d’ivoire) et fasse toutes les expériences de la vie. Celui qui se braque uniquement sur la technique (toujours améliorable d’ailleurs) sera sec et vide de sens. Celui qui alliera les deux fera vivre librement sa musique.

 


 

 

Le phénomène est repérable facilement chez les enfants qui apprennent la musique. Ils ne sont pas encore libres, ni au point de vue technique, ni au niveau de la connaissance des œuvres et des hommes qui les ont produites. C’est bien normal. Cependant, l’enseignement général de la musique (je ne parle pas ici des grands pédagogues qui n’accueillent que des virtuoses accomplis) s’attache seulement à la technique. C’est de fait le premier élément à assimiler. Mais lorsqu’on observe le niveau technique relatif des enfants, on se rend compte que dans des œuvres de difficulté peu élevée (où ils maîtrisent la technique mise en œuvre), ils ne sont pas libres cependant. Alors que se passe-t-il ? Il faut croire que les professeurs considèrent que le reste (c’est à dire l’expression) ne s’enseigne pas. Soit ils n’en ont pas le temps, soit ils ne savent pas comment s’y prendre et considèrent que l’enfant est doué pour s’exprimer ou pas. C’est une erreur flagrante et désolante car au-delà de la technique, l’enseignement doit aussi ouvrir aux styles et aux émotions. C’est plus difficile puisque cela touche à la psychologie de chacun et plus à l’objectivité technique. Cela demande, de la part de l’enseignant, une humilité, une implication sans doute plus éprouvante et tolérante que celle de la technique. C’est pourtant le seul moyen de libérer le musicien en herbe d’un propos uniquement technique. Je reste persuadé qu’un enfant de douze ans peut être libre face à ses petits préludes de Bach, son Mikrokosmos de Bartok et même ses fastidieux Czerny. Je crois aussi que ce manque de sensibilisation à la liberté dès les premiers pas est l’une des causes de l’abandon précoce de nombreux musiciens en herbe.

 

Transposez cela à des répertoires extrêmement difficiles techniquement et des pensées très complexes de compositeurs et vous percevrez immédiatement l’enjeu important que doivent gérer les grands interprètes. C’est là toute la différence entre les solistes confirmés qui travaillent ainsi depuis de nombreuses années, gagnant un peu de liberté à chaque pas de leur progrès (même les plus grands savent qu’ils ont encore du chemin à faire face à l’interprétation des œuvres. Sviatoslav Richter, par exemple, le disait après chaque concert aussi sublime soit-il) et ceux qui croient, avec un manque flagrant de maturité, que la liberté est déjà acquise et qui, par manque d’humilité, plafonnent rapidement sans en soupçonner les raisons. Cela montre que la musique, comme toute activité de l’homme, est perfectible à l’infini et qu’il n’est donc pas possible d’être abouti à vingt ans, même si certains montrent une maturité hors du commun très tôt !

 


 

 

Sviatoslav Richter

 

Mais, et c’est par là que je terminerai aujourd’hui, la liberté est difficile à gérer. Comme dans l’exemple de nos démocraties on le constate tous les jours, il n’y a de liberté que dans le respect de celle de l’autre. Respect du compositeur, de la partition, des styles et des manières sont donc essentiels. La liberté individuelle se situe donc, comme dans la vie de tous les jours, dans ce subtil équilibre entre raison (respect et humilité) et émotion (la part de soi-même, le ressenti des œuvres, …). Elle est l’aboutissement de l’éducation, et de l’instruction, en un mot, de la compréhension du monde. Elle est tout sauf anarchie et représente à vrai dire le contraire de l’excès. Elle demande de la maturité, certes, mais c’est aussi un formidable moyen d’exister. C’est bien pour cela que les régimes totalitaires ont tenté (en y arrivant souvent partiellement) de briser cette liberté de la composition musicale et artistique en brisant l’existence même des artistes comme des individus de leur société despotique. Mais bien souvent, ne réalisant pas que les artistes trouvent toujours un moyen de contourner la dictature, ils ont oublié, dans une large mesure, que la liberté de l’interprète, une fois dans sa musique, parvient à transmettre sa joie autant que sa douleur. Il est remarquable, en cette optique, d’observer le nombre d’interprètes de tout haut vol dans les pays totalitaires (U.R.S.S., en particulier).

 

La liberté face à l’exécution d’une œuvre quelle qu’elle soit permet donc à l’âme de clamer sa liberté intérieure, même quand la liberté de la vie réelle n’est qu’un rêve.

 

 

 

 

 

Ces réflexions viennent du blog passionnant de Jean-Marc Onkelinx :

http://jmomusique.skynetblogs.be/archive/2011/06/27/vers-la-liberte.html

 

Entretien avec Sonia Wieder Atherton

Entretien avec Sonia Wieder-Atherton, violoncelliste PDF Imprimer Envoyer
Lundi, 11 Avril 2011 18:09

 

« Aujourd’hui, les gens ont peur de ce qu’ils ne connaissent pas, et c’est certainement en grande partie ce qui les empêche d’avancer »

 

swa

 

Sonia Wieder-Atherton est un ovni, une personnalité à part dans le monde souvent trop lisse et polie de la grande musique. Cette violoncelliste, qui aurait pu suivre une route toute tracée de soliste, n’a pas hésité à emprunter des chemins de traverse, au grand dam de ses pairs. Une immersion de deux années et demie dans la Russie communiste des années 1980 pour parfaire son approche du son, un album de musiques traditionnelles juives, un pont entre Monteverdi et des compositeurs contemporains, le parcours de SWA est à son image, rempli de rebondissements, de découvertes, d’improbables rencontres et surtout de tripes. Sur les traces de son icône Maria Callas, la violoncelliste hexagonale n’hésite pas en effet à se livrer corps et âme et à prendre des risques dans des choix musicaux en parfaite adéquation avec sa personnalité aussi attachante qu’atypique. Rencontre !

Votre passion pour le violoncelle est née à l’écoute d’une sonate en mi-mineur de Vivaldi. Pouvez-vous nous parler de l’émotion ressentie à cet instant précis ?
Je m’en souviens très bien. J’étais en train de m’amuser aux osselets avec des copains. Le choc ressenti n’était pas tant lié à la musique jouée, mais plus au son du violoncelle qui est arrivé comme un météore. J’ai été véritablement happée. Cette sonate de Vivaldi commence par une octave et s’apparente plus à un exercice de son qu’à une mélodie extrêmement prenante ou envoûtante. À cette époque, je jouais de la guitare. Je devais en être à mon troisième ou quatrième instrument et je cherchais toujours celui qui me correspondrait le mieux. Là, j’ai enfin eu la révélation ! Je me souviens que c’était avant les grandes vacances d’été. Le professeur que mes parents avaient trouvé n’a eu le temps de me donner qu’une seule leçon avant la fin de l’année scolaire. Mon père a filmé ce premier cours où mon professeur montrait la position du corps et celle de l’archet. Cela m’a permis de réviser pendant les vacances.

La progression a-t-elle ensuite été rapide ?
Il y a des personnes très douées qui vont très vite dans l’apprentissage, quel que soit l’instrument qu’ils pratiquent. Moi, je pense que si mes progrès ont été rapides, c’est plus parce qu’une étincelle s’était allumée en moi. Le violoncelle était vraiment ce que je cherchais. J’ai donc mis en œuvre toutes mes énergies pour progresser rapidement. Cela a peut-être créé un don, mais celui-ci n’était pas inné. Mon faisceau lorsque je regardais ce que je faisais était assez concentré en raison de ma profonde motivation. Mon rapport avec le but que je m’étais fixé était assez fort pour une petite fille de dix ans.

Lorsqu’un professeur décèle en un élève un potentiel pour aller plus loin dans son parcours musical, est-il poussé irrémédiablement vers les concours ?
Oui ! Les concours font partie du passage obligatoire de tout musicien classique. Cela vous permet de vous familiariser dès le plus jeune âge avec ce qu’est un jury, par exemple. Il y a les petits concours pour les enfants avec différents niveaux. Lorsque l’on décèle chez vous une aptitude à aller plus loin, on dit à vos parents qu’il serait bien que vous vous présentiez au conservatoire. Comme pour les grandes études, cela vous entraîne dans un chemin très balisé de concours et, bien évidemment, de résultats, de comparaison et de jugement ! Mes parents n’étaient pas très sûrs de ce que cela aller donner. Ce sont plutôt des littéraires qui ont suivi de longues études, et le fait que je décroche à l’école les a un peu perturbés. Au départ, je menais de front mes études et la musique. Je me levais vers 5 heures du matin et je m’exerçais au violoncelle pendant au moins deux heures avant de partir à l’école. Cela faisait deux journées en une ce qui, au niveau du rythme, était très compliqué à gérer pour une jeune fille. Malgré la fatigue qui s’accumulait, je n’ai jamais rechigné à me réveiller pour pratiquer mon instrument. J’ai donc peu à peu laissé de côté le cycle scolaire traditionnel pour me consacrer corps et âme à ma passion musicale.

Là où la plupart des musiciens suivent un plan de carrière déjà presque préétabli, vous avez assez rapidement choisi des chemins de traverse, imposant en cela votre personnalité !
Effectivement. Je suis partie en Russie en 1980 alors qu’il y avait à cette époque une véritable haine pour ce pays. Je me souviens d’une personne du conservatoire qui avait dit : « Qu’elle foute le camp chez les rouges ! » C’était assez difficile à entendre. Il y avait sur ce pays une véritable chape de plomb et, en même temps, on savait que cela fourmillait de talents, de courage, de vie. Une telle immersion vous permet d’apprendre énormément sur l’être humain, la confiance, la trahison... Je me souviens par exemple que j’avais peur de rêver tout haut, tant la crainte du régime était présente au quotidien. Les gens exprimaient leurs pensées par la musique, ce qui la rendait plus forte. Là encore, ma motivation de partir étudier dans ce pays était focalisée sur le son. Un son comme on n’en entendait pas dans nos conservatoires et que je devais comprendre à tout prix. Je suis restée deux ans et demi en Russie. C’était aussi fascinant que dur. On devait se lever très tôt afin de pouvoir trouver une salle où travailler le violoncelle, puisqu’il n’y avait que soixante studios de répétition pour environ quatre cents chambres. Vivre au quotidien était très compliqué. Chaque jour, je me demandais comment j’allais pouvoir subvenir à des besoins vitaux comme manger par exemple. C’est en rencontrant Natalia Shakhovskaïa qui était venue donner un cours d’été en France deux ans plus tôt que j’avais décidé d’aller parfaire ma connaissance de l’instrument en Russie. La force de l’enseignement de cette femme, aussi bien technique que musical, a en partie fait ce que je suis aujourd’hui. Elle m’a permis d’aller puiser au plus profond de moi, de mon corps, de ma personnalité afin de comprendre ce que devait être un interprète.

Le fait d’avoir rencontré Mstislav Rostropovitch, maître du violoncelle et dissident dans son pays, a-t-il contribué à votre désir de partir en Russie ?
Rostropovitch, comme tous ceux qui venaient de Russie à cette époque, était une personne qui portait en elle une histoire, des moments de vie. En plus d’être des solistes d’exception, leurs parcours, leurs racines, cette lutte face à un régime dur et oppressant faisaient de ces artistes russes des figures qui dépassaient largement le seul cadre musical. Richter, Rostropovitch ou Oïstrakh étaient non seulement des génies mais également des personnes d’une grande modestie par rapport aux solistes actuels. Ils faisaient des tournées dans les kolkhozes, les écoles, les hôpitaux… Ils arrivaient dans ces lieux avec leurs queues-de-pie aux bords luisants tant ils les avaient portées et, dès la première note, c’est tout leur univers qui nous envahissait, pas juste des enfilades de notes. On y décelait un véritable lien à l’histoire, leur propre histoire, celle qui, par sa dureté, les avait façonnée.

Vous regrettez ce statut actuel de virtuose intouchable, installé dans une bulle impossible à percer ?
Le soliste, qui est un statut assez récent et qui vient de Liszt, a connu des personnalités comme Rostropovitch ou Casals, pour parler du violoncelle, qui portaient, au-delà de leur statut, l’histoire d’un peuple, de gens plus ou moins courageux. Aujourd’hui, on a l’impression que ce statut s’est vidé de son histoire et qu’il est devenu quelque chose de plus social, représenté par des artistes moins porteurs d’un message profond. Dans mon esprit, Rostropovitch ou Casals sont un peu comme l’avocate iranienne qui, chaque fois qu’elle plaide, est en danger de mort car, dans son pays, les femmes n’ont pas le droit d’exercer cette profession. Lorsqu’elle plaide, c’est aussi son histoire qu’elle tient dans ses mains. C’est cette mise en danger, cette capacité à mettre toutes ses tripes à l’air qui fait la différence. Aujourd’hui, on se retrouve avec des solistes idolâtrés. On a l’impression que le milieu de la musique classique ne sait plus trop quoi inventer. Tiens, on va se calquer sur les rockers actuels en mettant sous les feux des projecteurs des solistes avec de jolis minois ! On va essayer de jouer sur le registre de la communication ou encore en présentant des virtuoses venus d’Asie qui détiennent un rapport au don tout à fait fascinant. Je ne dis pas que cette conception nouvelle du soliste est mieux ou moins bien, mais je pense que cela amène forcément des réflexions. C’est peut-être un passage obligé vers autre chose. Actuellement, le bateau vire de bord, le vent souffle et on se prend les voiles dans la figure en attendant la nouvelle direction. Personnellement, je suis toujours étonnée lorsqu’un festival ressemble à un book de mannequins où lorsqu’il propose des petits prodiges de quatorze ans qui parviennent à enchaîner un nombre de notes incroyable à une vitesse phénoménale. C’est la fin d’un cycle et le début d’un autre, même si je ne sais pas vers quoi on tend aujourd’hui ! Thelonious Monk disait : «  Je mets des bagues pour jouer afin de ne pas paraître trop virtuose. » Qui peut comprendre cela actuellement ? Lorsque l’on parle du phénomène pianistique Lang Lang, on parle de son énergie. Je ne peux juger car je ne l’ai jamais vu en concert mais, quoi qu’il en soit, on n’emploie pas aujourd’hui les mêmes mots pour définir un soliste, et c’est en cela que le rapport entre artiste et musique est en phase de mutation. C’est à l’image de notre société qui, elle aussi, change dans son rapport à l’être humain.

On connaît votre amour pour Maria Callas. Est-ce pour cette raison que vous avez choisi le violoncelle, l’instrument le plus proche de la tessiture vocale humaine ?
Non, je ne pense pas ! On schématise la tessiture du violoncelle, mais un instrument comme le saxophone peut également être très proche de la voix humaine. Par contre, il est vrai que, pour moi, le vocal représente quelque chose de très puissant. C’est à travers La Callas que j’ai découvert, comme elle le disait, qu’un chant ne devait pas toujours être beau. Lorsqu’elle jouait Médée, une mère qui perd son enfant, elle ne chantait pas, elle hurlait. La Callas se mettait tout le temps en danger, allait chercher des grondements poitrinaires, tout était complètement lié au rôle qu’elle interprétait. Elle m’a ouvert ce rapport à ce qu’une note, un chant soit toujours empli de quelque chose qui va chercher l’histoire et ce que l’histoire suggère. C’est une philosophie que j’ai adaptée à moi-même, au-delà de mon simple rapport au violoncelle ou à la musique.

L’approche musicale de La Callas, cette mise en danger permanente, est également à l’image de votre propre carrière, faite de remises en question et d’univers toujours très différents !
Je pense que cela est lié à la manière dont j’ai été happée dès le départ par le violoncelle. Je n’ai jamais été intéressée par le statut du soliste de musique classique. Dans les mains, j’ai un instrument qui exprime des choses. Je suis une personne au naturel curieux et je pense que, très vite, je me suis sentie à l’étroit dans cet esprit de concours, de prix et de carrière tracée. Je suis tombée sur des choses qui m’ont paru si belles et si puissantes que j’ai ressenti le besoin de les approfondir. Le travail que j’ai pu faire sur les musiques traditionnelles a été une telle découverte que je me suis plongée dedans à corps perdu, sans me poser la question de savoir l’impact que cela aurait sur ma carrière, sous prétexte qu’un artiste classique doit rester dans les clous. Ma conception de l’interprète est celle d’une personne nourrie d’une multitude de choses. C’est un peu comme une surface d’eau que l’on regarde. Soit on ne voit que le liquide, soit on se pose la question de savoir de quoi cette eau est faite. Les sources qui viennent de la montagne, les affluents qui viennent de la mer, les chutes de pluie… Plus elle est composée d’éléments extérieurs et plus elle est riche. Pour moi, le son d’un musicien, c’est la même chose. Il y en a un certain nombre que vous sentez nourris de plein de choses différentes, éclectiques, qui font qu’ils sont à part. Moi, c’est, je l’espère, vers cela que je tends. Alors, pour un certain milieu bien pensant pour lequel il faut rester dans les cases, je suis une marginale du classique.

Comment est né justement cet album de chants juifs en compagnie de la pianiste Daria Hovora ?
J’ai fait cette recherche pour le film de Chantal Akerman, « Histoires d’Amérique ». Mon implication a largement dépassé le stade de la commande qui était de trouver des musiques susceptibles de pouvoir coller avec ce long-métrage. J’ai découvert tout cet art et cette manière si belle et si particulière d’aborder le chant. J’ai alors cherché comment exprimer cela avec mon violoncelle. À travers cela, j’ai découvert des choses enfouies en moi sur mon histoire, mes origines… Des choses qui avaient été mises de côté, dirons-nous ! C’est certainement la raison pour laquelle cette musique me touchait tant et que j’avais l’impression de la connaître sans même l’avoir écoutée. C’était une sorte de transmission inconsciente. De cela est donc né un album qui est certainement à bien des égards une pierre angulaire de ma discographie. Aurais-je dû passer à côté de cela pour plaire à une certaine intelligentsia du classique ? Je ne le pense pas ! Aujourd’hui, les gens ont peur de ce qu’ils ne connaissent pas, et c’est certainement en grande partie ce qui les empêche d’avancer.

Comment décririez-vous votre relation à l’instrument ?
C’est quelque chose de physique. Il n’y a plus de séparation entre l’instrument et moi-même. Lorsque je le saisis, il devient immédiatement le prolongement de mon bras, de ma main. Il y a une vraie unicité.

À 16 ans, vous intégriez la classe de Maurice Gendron au Conservatoire de Paris. Que gardez-vous de cette relation avec le maître que vous décrivez comme passionnelle ?
Maurice Gendron était un peu comme un père musical. Mon attirance pour l’école de l’Europe de l’Est a été très difficile à accepter pour lui. Il avait un côté très romanesque, et je pense qu’il n’aimait pas les gens qui se pliaient à toutes ses volontés. Moi, j’avais déjà un tempérament un peu rebelle et c’est, je crois, ce qui lui plaisait. Il inspirait plus ses élèves qu’il ne leur changeait les couches. Le quotidien de l’enseignement l’ennuyait profondément. Il laissait une grande part de liberté à ses élèves. Certains n’osaient pas s’écarter de son ombre et d’autres, comme moi, allaient chercher ailleurs des réponses qu’ils ne trouvaient pas à ses côtés. La rupture assez violente entre nous a été due à mon départ pour la Russie. Un départ qu’il a compris mais qu’il a eu le plus grand mal à accepter.

 

Propos recueillis par Nicolas Valiadis

Petite histoire de la viole de gambe

La viole de gambe (c'est-à-dire de jambe) ou viole est un instrument de musique à cordes et à frettes joué à l'aide d'un archet. Le terme italien viola da gamba le distingue de la viola da braccio par la différence de la tenue de l'instrument (la basse de viole est tenue entre les jambes, d'où son nom, et l'archet est également tenu de façon différente).

Il existe 7 tailles de viole de gambe: (toutes les tailles sont tenues entre les jambes...sauf la contre-basse)

Dessus de viole (accord : ré, sol, do, mi, la, ré)

Viole de gambe alto (historiquement rarement utilisée: do, fa, si bémol, sol, do)

Viole de gambe ténor (sol, do, fa, la, ré, sol)

Basse de viole de gambe (ré, sol, do, mi, la, ré) (parfois 7me corde: LA)

Grande basse de viole de gambe ou violone en sol (sol, do, fa, la, ré, sol)

Contre basse de viole de gambe ou violone en ré (ré, sol, do, mi, la, ré)

En plus de cette série, une viole plus petite fut ajoutée en France au XVIIIe siècle, pour permettre aux nobles de jouer le répertoire du violon dont l'usage était considéré comme vulgaire. Cette petite viole, le pardessus de viole, est accordé une octave plus haut que la viole ténor, et possède parfois seulement 5 cordes (sol, ré, la, ré, sol).

Il est important de noter que, contrairement à une idée communément répandue, les deux familles, celle du violon et de la viole, n'ont aucune relation entre elles : la viole de gambe n'est pas l'ancêtre du violon. Elles sont apparues presque simultanément, mais dans différentes parties de l'Europe.



La viole de gambe est née dans la région de Valencia en Espagne à la fin du XVe siècle. La première peinture représentant une viole de gambe jouée par un ange, trouvée à Xativa (Valencia), date de 1475. Par ses frettes, le nombre de ses cordes (six) et l'accord (en quartes, avec une tierce au milieu), cet instrument dérive du luth ou de la vihuela. La viole de gambe peut être considérée comme un « luth à archet ». On la joue en la tenant sur les genoux, d'où son nom, venant de l'italien « da gamba » qui signifie jambes.

La viole de Gambe dérive du « rebab », apporté en Espagne par les Maures vers le VIIIe siècle. Elle s'est d'abord développée en Espagne, puis a connu des heures de gloire en Italie. En effet, l'année 1492, l'espagnol Valencian Rodrigo Borja (En italien Borgia) fut élu au trône papal et devînt Alexandre VI. Or le Pape amena de nombreux violistes à Rome, lesquels étaient employés pour la musique d'église. La viole eut alors un succès énorme en Italie et Isabelle d'Este, amoureuse de la « viole a la spagnola » en commanda plusieurs à un luthier renommé, Giovanni Kerlino, à Brescia.

Ces nouvelles violes fleurirent un peu partout sur le sol fertile de la renaissance italienne, et, au début du XVIe siècle, un nombre considérable de traités (à une époque où l'impression des livres était extrêmement chère!), contribua à la rapide diffusion et à l'immense popularité du nouvel instrument. Ces travaux sont intéressants, par leur avance incroyable et leur compréhension sophistiquée des possibilités expressives d'un instrument à cordes. Ainsi, en 1542 et 1543, le traité de Ganassi, « Regola Rubertina », ne trouva pas d'égal avant le traité de Leopold Mozart en 1756. Des centres de fabrication de l'instrument en Italie, sont nés des instruments magnifiques. D'importantes « dynasties » de luthiers comme Amati, Stradivari, Guarneri et Ruggieri contribuèrent à élever le nom de Crémone au plus haut niveau. La ville de Brescia comporte aussi deux noms, Gasparo da Saló (1549 – 1609), et Giovanni Paolo Maggini (1580 - 1630) dont les instruments sont considérés comme des instruments de premier choix par les solistes actuels. Il est important de noter que de Crémone, Brescia, mais aussi Milan, Venise, Mantoue, Bologne, Florence, Rome et Naples sont sortis, de 1540 à 1780, des « viola da gamba » et « viola da braccio » (« viole de bras »: c'est ainsi que l'on nommait les instruments de la famille du violon) dont la qualité reste inégalée jusqu'à nos jours. De l'Italie et de l'Espagne, la viole de gambe s'est alors diffusée dans toute l'Europe. Elle fut en vogue jusqu’à la révolution française, bien que certains en jouèrent encore jusque vers 1800.

Le répertoire de cet instrument tombé dans l'oubli pendant plus de deux siècles ressortit à la musique baroque. La viole a en effet été supplantée par le violoncelle, malgré le traité d'Hubert Le Blanc : « Défense de la basse de viole contre les entreprises du violon et les prétentions du violoncelle » (1740) et la tentative de création par Michel Corrette, vers 1780, d'un hybride, la viole d'Orphée, définie par ce dernier comme un « nouvel instrument ajusté sur l'ancienne viole, utile en concert pour accompagner la voix et pour jouer des sonates », avec cette encourageante addition : « Les dames, en jouant de notre viole d'Orphée, n'en paraîtront que plus aimable, l'attitude étant aussi avantageuse que celle du clavecin. » (La viole d'Orphée était dotée de cordes en métal et ne possédait pas de frettes, ce qui rendait sa sonorité plus proche de celle du violoncelle). Si la viole a fini par disparaître, c'est parce que le violon, qui était à l'origine un instrument de rue et de cabaret dont le noble ne pouvait pas jouer, prenait peu à peu ses lettres de noblesse... De plus, pendant la révolution française et après, les violes, sans doute jugées trop aristocratiques, furent transformées en violoncelles, violons et altos...

Depuis la redécouverte de la musique baroque (ou du moins la découverte de sa spécificité en tant que telle) dans le dernier tiers du XXe siècle, la viole a cependant été remise au goût du jour, notamment par des interprètes comme les St Georges (pères et fils), Annelore Müller, August Wentzinger (Bâle), et plus récemment Wieland Kuijken (Bruxelle) et en Espagne par Jordi Savall et son ensemble, Hesperion XX Jonathan Dunford et son ensemble à deux violes esgales ou encore José Vázquez et son ensemble Orpheon. Le film Tous les matins du monde d'Alain Corneau a aidé cet instrument à être apprécié par le grand public. Depuis lors, il n'est pas rare que des pièces initialement écrites pour viole mais jouées depuis la période romantique exclusivement sur violoncelle, soient à nouveau interprétées sur viole.

Bien que la littérature de consort comprenne des pièces pour 2 à 7 musiciens, la combinaison de deux dessus, deux ténors et deux basses formait un « assortiment de violes » qui auraient idéalement dû être fabriquée par le même luthier. En raison de ses accents délicats, riches et finement nuancés, la viole était employée de préférence dans les polyphonies, soit combinée à d’autres voix (motets, madrigaux, chansons), soit dans des formes instrumentales dérivant de modèles vocaux (Ricercare, Canzona, Tiento et Fantasia). Les maîtres anglais – Byrd, Ferrabosco, Gibbons, Coperario, Lawes, Purcell – trouvèrent dans la fantaisie contrapontique la forme par excellence dans laquelle exprimer les pensées les plus érudites, et la poésie la plus sublime. Par respect pour leur mérite artistique ces œuvres peuvent non seulement être comparées aux chefs-d’œuvre de la poésie et de l’art dramatique de leurs contemporains anglais, mais aussi aux chefs-d’œuvre de la musique de chambre de toutes les périodes. Ainsi lorsque Mersenne souhaite montrer quel style de musique convient le mieux à la viole, il choisit d’imprimer une fantaisie à six parties de Alfonso Ferrabosco, malgré son nom anglais !

 

Réflexions d'un internaute :

"Pour ce qui est de "notre" réticence à l'écoute de musiques notamment orientales, elle tient probablement plus à l'imbécile suprématie de nos conservatoires nationaux qui cloîtrent nos soit-disant élites intellectuelles dans la pratique d'une musique figée qu'à une réticence naturelle (s'agit-il d'une réticence éducationnelle ?). L'éducation de l'oreille s'acquiert par l'écoute, et il serait souhaitable à cet égard de s'efforcer de rompre, ne fût-ce que de temps à autre, avec l'agaçante routine des musiques qui vous posent un homme. Encanaillez-vous avec la "musique de chinois" (dixit Cab Calloway) des boppeurs, vous serez alors familiarisé avec quelques "dissonances". Tentez ensuite Schoenberg, vous serez libéré de la tonalité. N'hésitez plus, dirigez vous vers le free jazz, entendez les souffleurs (délaissez la dictature du piano !) se rire des tons "justes" (Dolphy, aahhh, Dolphy !), soutenus par des sections rythmiques ennemies. Enfin, vous abandonnerez ces mots de vierge effarouchée en chemin. D'innombrables autres voies sont bien évidemment possibles, mais n'oubliez pas l'essentiel : la musique est un art visuel. Allez donc voir MacLaughlin "désaccorder" sa guitare pour mieux s'accorder aux tablas qui l'accompagnent. Vous serez alors charmé par la poésie de cette fameuse musique "hindoue" (comme si les musiques d'un continent milliardaire en individus pouvaient se réduire à un simple vocable !) et plongerez, comme ce fut mon cas, dans les délices du "diabolus in musica", magiquement employé à midi et à minuit par nos amis indiens et systématiquement recherché dans le blues et le jazz (accords de septième)."